La fin de la liberté d'expression?

Culture et artsTechnologie et médias

Le 20 décembre 2013, la directrice communication d'une société américaine Justine Sacco écrit un tweet: “Départ pour l'Afrique. J'espère ne pas choper le sida. Je déconne. Je suis blanche!” Un journaliste partage son tweet, et en quelques heures toute la toile s'enflamme. Le compte de Justine Sacco passe en quelques heures de 170 à 8 000 abonnés, et le lynchage médiatique commence pour la jeune femme. À l'arrivée de son avion, elle est virée, les salariés de son hôtel menacent de faire grève, la réception explique qu'ils ne peuvent pas garantir sa sécurité. Sa réputation a été sérieusement entachée, et ce, pour les années à venir. Elle a été "cancellée".

Quelques années plus tard, en juin 2020, c'est l'autrice J.K. Rowling qui s'attire les foudres des internautes, dont de nombreux fans de Harry Potter, après la publication de tweets jugés dévalorisants envers la communauté trans. Ses livres ont par la suite été appelés au boycott, et plusieurs personnalités de la saga Harry Potter se sont également désolidarisées de J.K. Rowling. Elle a également été "cancellée".

À la même époque, de nombreux débats éclatent autour de deux thèmes majeurs: le déboulonnage de statues, et la censure d'œuvres culturelles. En effet, suite à l'émoi international après la mort de George Floyd et à toutes les manifestations antiracistes qui ont suivi, on assiste au déboulonnage de statues d’effigies colonialistes dans plusieurs pays du monde. Des séries ou des films qui contiennent des idées racistes sont retirées de plateformes qui les diffusent, comme Autant en emporte le vent. Les plateformes médiatiques s’alarment sur un phénomène qui semble prendre de l’ampleur.

Voilà tout autant d'exemples de ce que l’on nomme aujourd’hui la “cancel culture”.

Qu’est-ce que la cancel culture?

La cancel culture, en français "culture de l’annulation" (ou de l'effacement, ou du bannissement), décrit un phénomène qui consiste à humilier, punir, ostraciser et/ou attaquer une personne publique ou sa réputation, en particulier sur les réseaux sociaux, en raison de ses actions ou de ses paroles considérées offensantes ou inacceptables.

On associe souvent la cancel culture à des mouvements idéologiques et politiques progressistes, mais elle est aussi dénoncée par ces mêmes mouvements progressistes (par exemple par Natalie Wynn, qui est une figure du mouvement LGBTQIA+).

Et si le boycott a toujours été un levier d’activisme qui a amené du changement (par exemple: le boycott des bus pour protester contre la ségrégation suite à l’histoire de Rosa Parks, ou le boycott économique de l’Afrique du Sud pour protester contre l’apartheid), la cancel culture semble différente.

Elle touche en effet aux notions fondamentales de vérité et de liberté d'expression, et remet en question notre rapport à l'histoire et notre manière de faire société. Si le sujet est peut-être moins chaud aujourd'hui, il est toujours d'actualité.

La cancel culture dans l’histoire

Ce qu'on appelle aujourd’hui "cancel culture" a pris plusieurs noms différents au cours de l'histoire: bannissement, ostracisation, censure, etc.

Comme le dit l'Ecclésiaste:

Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. S’il est une chose dont on dise: Vois ceci, c’est nouveau! Cette chose existait déjà dans les siècles qui nous ont précédés. On ne se souvient pas de ce qui est ancien; et ce qui arrivera dans la suite ne laissera pas de souvenir chez ceux qui vivront plus tard.

Ecclésiaste 1.9-11

Dès les premières pages de la Bible, Dieu déclare: “Il n'est pas bon que l'homme soit seul.” La Genèse décrit l’être humain dans sa dimension sociale: son environnement naturel est d’être au milieu d'autres humains. Ainsi, l'exclusion du groupe est une forme de mort. Le récit de Caïn et Abel, et l'exil de Caïn, l’illustrent d'ailleurs. Pour le meurtre de son frère, sa condamnation est sociale: “Tu seras errant et vagabond sur la terre.”

Plus tard, dans la Grèce Antique et particulièrement la démocratie athénienne, se formalise la pratique de l'ostracisation. L’assemblée des citoyens (l'ekklesia, d'où nous vient le mot église) pouvait chaque année demander un vote d'ostracisation. Les citoyens écrivaient un nom sur un morceau de poterie, et le citoyen en question était banni de la ville pour dix ans. C'était une mesure préventive et non punitive, afin de protéger la stabilité de la démocratie athénienne. Une personne pouvait être bannie pour ses idées, son ambition apparente, des doutes par rapport à sa loyauté au régime, etc.

Lors de la Réforme, au XVIe siècle, le développement de l'imprimerie facilita la diffusion de pamphlets, ces petits écrits défendant des idées religieuses et politiques. La diffusion de l'imprimerie et la croissance rapide des niveaux d'alphabétisation confrontent l'Europe à une abondance d'idées religieuses et politiques. Les guerres de religion cherchent à réprimer de manière violente les idées nouvelles ou contraires à l’orthodoxie dominante. L'Église pratique aussi la censure et l'ostracisation sous la forme de l’excommunication.

Mais le débat est revenu sur le devant de la scène médiatique ces dernières années. La révolution technologique d'Internet a poussé les grandes compagnies à pratiquer une certaine censure, notamment suite à la montée de l'État Islamique et son instrumentalisation de Twitter au début des années 2010. Puis, sur les campus universitaires, des campagnes d'exclusion (ou de "cancellation") de commentateurs politiques se sont multipliées. C’est le cas à Berkeley, aux États-Unis, en 2017. En 2017 également, le mouvement #MeToo dénonce à grande échelle les abus sexuels perpétrés par des hommes de pouvoir. Sur les réseaux sociaux, ces hommes sont attaqués et "cancellés".

La cancel culture: une redéfinition du bien et du mal?

La commentatrice Natalie Wynn voit dans la cancel culture une sorte de guillotine du XXIᵉ siècle, qui agirait comme la justicière du peuple. Mais le problème avec la guillotine et les exécutions publiques, c’est qu’elles peuvent aussi devenir une forme sadique de divertissement...

Elle identifie différentes étapes du processus par lequel la cancel culture déforme la réalité1:

  1. La présomption de culpabilité. La simple accusation constitue une preuve valable.
  2. L’abstraction. Les détails concrets et spécifiques d’une situation par une généralité.
  3. L’essentialisation. L'individu est réduit à une seule de ses dimensions, paroles ou actions.
  4. Le pseudo-moralisme ou pseudo-intellectualisme. La morale est mise en avant, mais peut agir comme prétexte pour un simple règlement de comptes.
  5. Le non-pardon. Le fait même de présenter ses excuses peut passer comme un manque de sincérité qui pousse à de nouvelles critiques.
  6. Le dualisme. Un raisonnement binaire conduit à voir les gens comme bons ou mauvais par le prisme de leurs paroles ou actions.

La cancel culture dresse ainsi un portrait de l'ennemi, en mettant en avant les personnes, mais aussi les caractéristiques à honnir, celles du mal. La cancel culture se présente ainsi comme une nouvelle morale qui nous enseigne un message fondamental sur la vie: ce pour quoi nous existons, ce que nous devons poursuivre ou éviter dans la vie, comment définir le mal sous ses diverses formes, quelles sont les causes du mal et ses manifestations, et comment vaincre le mal ou lui régler son compte.

Or, et c’est là un argument apologétique bien répandu: si le bien et le mal existent, c’est qu’il y a une norme morale. S’il y a une norme morale, et donc une loi, il y a un législateur. Et qui peut être ce législateur sinon Dieu?

La cancel culture: une opportunité de conversations

En tant que chrétiens, Dieu est notre référence en matière de morale. On croit en la vérité, qui est accessible par la Parole et la raison. Cette vérité, c’est Jésus-Christ qui a été lui-même "cancellé":

Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans elle. En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point reçue.

Jean 1.1-5

L'équipe Sagesse et Mojito

Le podcast Sagesse et Mojito, c'est un rendez-vous curieux et édifiant où trois amis vous invitent dans leurs conversations à la recherche de l’essence au-delà des apparences. Un temps où Léa, J-C, et Christel vous invitent à penser et dialoguer avec eux, autour des questions qui vous trottent dans la tête ou qui touchent votre cœur. Leur désir? Vivre leur vocation de façon authentique et libre et ce, quelles que soient les attentes de notre société.

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Comment avoir une vision biblique du monde et de la culture?

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Orateurs

M. Giralt et R. Charrier